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La pilule, 40 ans de liberté au féminin 
 
 
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3) Invention de la pilule contraceptive

En avril 1951, G.Pincus débuta alors un travail sur les hormones dans son laboratoire animal, avec, comme point de départ, l’hypothèse que des injections de progestérone inhiberaient l’ovulation et empêcherait donc la grossesse.  
 
Des débuts difficiles: 
Le 15 octobre de la même année, il se rendit chez la société pharmaceutique G.D.Searle et leur demanda des fonds supplémentaire pour ses recherches. Le directeur des recherches lui rappela que son précédent travail pour la société fut un « lamentable échec » et refusa donc d’investir dans le projet. Toutes les compagnies pharmaceutiques, au début des années 50, ne voulaient en aucun cas être impliquées dans le domaine controversé de la contraception. Mettre un produit contraceptif sur le marché était, à l’époque, un risque énorme pour n’importe quelle société. Personne dans l’industrie pharmaceutique ne voulait avoir à faire avec les lois anti-contraception , qui existaient encore dans trente états des États-Unis. La publicité et la vente de contraceptifs étaient alors sévèrement réprimés. Il y avait aussi le problème des objections religieuses de la part des catholiques, qui représentaient 25e la population américaine. Pour G.D.Searle, un boycott pourrait amener à la perte d’un quart de son personnel de la société et de l’hôpital. De plus, la société ne croyait certainement pas qu’il y aurait un marché important pour un contraceptif oral. Les hommes qui y travaillaient trouvaient cela inconcevable qu’une femme puisse prendre une pilule tous les jours juste pour une affaire de contraception. Plus raisonnablement, ils pensaient aussi qu’un femme ne prendrait pas de bonne volonté une pilule qui ne soigne pas et ne prévient pas des maladies.  
En moins d’un an, G.Pincus réussit à prouver que la progestérone avait pour effet de stopper l’ovulation chez les lapins et les rats. Il informa le Planning Familial de ses découvertes et demanda de nouveau davantage d’argent pour ses travaux. Mais l’organisation trouva finalement le projet trop risqué et décida de ne pas apporter pas le support financier nécessaire pour les recherches. Le projet de la pilule contraceptive stagna un moment à cause du manque d’argent. 
En 1952, G.Pincus eut la chance de rencontrer, lors d’une conférence scientifique, le docteur John Rock, un gynécologue-obstétricien très renommé de Harvard. G.Pincus fut alors très étonné d’apprendre que J.Rock avait déjà testé le produit contraceptif sur des femmes et avait démontré son efficacité. J.Rock avait aussi administré le même médicament à des patientes infertiles dans le but éventuel de stimuler l’ovulation après trois à cinq mois d’injections de progestérone. 
 
Un nouveau départ : 
Le 8 juin 1953, M.Sanger réalisa que K.McCormick avait la possibilité de financer les recherches de G.Pincus et lui fit rencontrer le scientifique. La rencontre fut un succès et K.McCormick lui fit un chèque de quarante milles dollars en lui assurant aussi qu’elle lui apporterait les fonds nécessaires en fonction de ses besoins. Le projet prit donc un nouveau départ. 
G.Pincus savait que la progestérone fonctionnerait, mais dans le but d’obtenir l’approbation de la « Food and Drug Administration » (FDA) (administration pour la nourriture et les médicaments), il aurait besoin de tester son produit sur des êtres humains, ce qui ne pouvait être réalisé que par un docteur clinique. Finalement, il associa ses efforts avec ceux de J.Rock, bien que très catholique il croyait beaucoup au contrôle des naissances, en 1954, pour tester le produit sur les patientes du docteur.  
Dans le Massachusetts, ils commencèrent les premiers essais cliniques humains sur cinquante femmes. G.D.Searle les fourniraient en pilules hormonales. En effet, la technologie de la pilule était au point mais la compagnie ne voulait pas payer directement le projet, mais elle prit tout de même le risque d’autoriser G.Pincus à profiter d’échantillons de progestérone de synthèse pour ses recherches.  
 
Les essais cliniques de Boston : 
Sous l’apparence d’une recherche sur la fertilité, G.Pincus avait trouvé un moyen de tester le pouvoir contraceptif de la progestérone. J.Rock était très intrigué par les expérimentations de Pincus utilisant la progestérone seule et il accepta de tester la simple hormone sur ses patientes. Bien que G.Pincus et J.Rock camouflèrent leur but réel de leur étude, ces essais resteront historiques: les premiers essais humains pour un contraceptif oral. 
En 1954, J.Rock commença alors les premiers tests sur cinquante patientes dans sa clinique. Bien que les femmes étaient volontaires , on testa aussi le produit sur un autre groupe de patientes sans leur consentement direct. L’équipe fit également des tests sur douze patientes et seize patients psychiatriques. Le but était d’étudier les effets à long terme de la substance sur le système reproductif.  
Pendant ses travaux précédents, J.Rock administrait à ses patientes des injections de progestérone tous les jours ce qui provoquait l’arrêt des menstruations pour trois ou quatre mois. Pour ces nouveaux essais, G.Pincus suggéra d’adopter un traitement d’une vingtaine de jours qui inhiberait l’ovulation mais permettrait tout de même aux femmes d’avoir leurs règles normalement. G.Pincus espérait qu’ainsi le produit serait considéré comme n’interférant pas avec le cycle sexuel normal de la femme. J.Rock fut très enthousiasmé par l’idée, il pensait qu’ainsi l’Église Catholique pourrait considérer le procédé comme « naturel » et donc être accepté comme une forme de contraception. 
Au fur et à mesure, J.Rock vérifiait si les femmes ovulaient pendant le traitement. Finalement, les résultats montrèrent qu’aucune femme parmi les cinquante n’avait ovulé. Le contraceptif oral était non seulement très efficace, mais son effet était temporaire, éliminant ainsi les appréhensions d’un effet stérilisant permanent. 
 
La confirmation des résultats : 
En octobre 1955, M.Sanger invita G.Pincus à la cinquième conférence annuelle de la Ligue internationale pour le planning familial à Tokyo, au Japon, où ce dernier annonça les résultats de ses recherches sur la progestérone. Malgré l’importance de cette déclaration, la presse resta sceptique et ne prit pas note de l’histoire. 
En décembre 1955, lors de la prestigieuse conférence d’endocrinologie de Laurentian au Canada, J.Rock présenta à un public scientifique très au fait des recherches sur les hormones un article qui affirmait que la progestérone inhibait l’ovulation. La nouvelle se répandit alors rapidement dans la sphère scientifique. 
En 1956, après avoir comparé les formules des traitements hormonaux des deux compagnies Syntex et G.D.Searle, J.Rock choisit celui de Searle, nommé Enovid, et qui devint alors le premier contraceptif oral soumis à l’approbation de la FDA en Amérique. Et pour l’obtenir, il fallait encore que la pilule soit soumise à des essais cliniques à plus grande échelle, pour pouvoir être mise en vente sur le marché. Mais les lois anti-contraception strictes du Massachusetts rendaient impossible toute tentative. C’est pourquoi J.Rock et G.Pincus choisirent de mener leurs essais à San Juan, à Porto Rico. 
 
Les essais cliniques de Porto Rico : 
Durant l’été de 1955, G.Pincus avait visité Porto Rico et remarqua que c’était le parfait endroit pour mener des essais cliniques sur l’homme. Cette île, qui fait partie du territoire des États-Unis, était une des régions les plus densément peuplées du monde et les autorités supportaient le contrôle des naissances qui pouvait être un moyen de contrôler l’augmentation de la population ainsi que de lutter contre la pauvreté endémique. Il n’y avait pas non plus de loi anti-contraception dans la constitution de l’île et G.Pincus fut impressionné par le large réseau de cliniques pour la régulation des naissances déjà mis en place sur l’île.Il y avait alors soixante sept cliniques qui distribuaient des contraceptifs et de nombreuses femmes avaient recours à leurs services. 
Pour G.Pincus l’île offrait un grand nombre de candidats motivés ainsi qu’une population qui pourrait facilement être surveillée tout au long des essais. G.Pincus savait aussi que s’il pouvait démontrer que les femmes pauvres et non éduquées de Porto Rico étaient capables de suivre le régime de la pilule, alors n’importe quelle femme du monde le pourrait aussi.  
Il espérait qu’en montrant que les portoricaines pouvaient utiliser un contraceptif oral avec succès, il se débarrasserait des critiques comme quoi un tel contraceptif oral serait trop « compliqué » pour les femmes des pays en voie de développement et des quartiers pauvres des États-Unis.  
Les essais se dérouleraient à Rio Piedras dans une clinique, un tout nouveau projet immobilier avec l’eau courante et des balcons ensoleillés juste à la sorite de la capitale. Le quartier le plus misérable de l’île, El Fangito, avait été rasé pour pouvoir construire de beaux bâtiments blancs de sept étages, et les nouveaux résidents étaient pressés de d’améliorer leurs conditions de vie. De nombreuses compagnies américaines venaient construire des usines sur l’île, offrant ainsi beaucoup d’emplois pour les femmes. 
Les essais démarrèrent rapidement en avril 1956, et la capacité d’accueil des locaux fut rapidement insuffisante et les essais furent alors menés dans d’autres régions de l’île, en supplément. Bien que les portoricains étaient majoritairement catholiques, ils se sentaient davantage concernés par les combats du quotidien que par le dogme Catholique, et ne suivirent pas les dispositions prises par Rome à propos du contrôle des naissances. A cette époque, la plupart des femmes avaient recours à la stérilisation ou à l’avortement pour limiter le nombre d’enfants. C’est aussi pourquoi la pilule fut la bienvenue. 
J.Rock choisit un fort dosage du traitement Enovid pour s’assurer qu’il n’y aurait aucune grossesse pendant que les patientes prendraient la pilule contraceptive. Peu de temps après, l’équipe découvrit qu’Enovid était plus efficace lorsqu’on l’associait avec de l’œstrogène synthétique. Cette autre hormone fut dès lors ajoutée au produit. 
C’est le docteur Edris Rice-Wray, membre de l’École de Médecine de Porto Rico et directeur de l’Association pour le Planning Familial de Porto Rico, qui était en charge des essais des cliniques. Après une année entière de tests, il annonça à G.Pincus de bonne nouvelles. La pilule contraceptive était efficace à 100% quand elle était prise correctement. Il rapporta aussi que 17% des femmes participant à l’étude se plaignirent de nausées, de vertiges, de maux de tête et d’estomac ainsi que de vomissements. E.Rice-Wray lui déclara qu’une dose de dix milligrammes d’Enovid causait « trop d’effets secondaires pour être généralement bien toléré ». 
Mais G.Pincus et J.Rock écartèrent assez vite les conclusions du docteur Rice-Wray. Leurs patientes de Boston n’avaient pas éprouvé autant d’effets négatifs, et ils croyaient que beaucoup de ces plaintes étaient d’origine psychosomatiques. Les hommes pensaient aussi que des problèmes tels que les nausées et les ballonnements restaient mineurs par rapport au bénéfice de l’effet contraceptif du médicament. Malgré la mort de trois femmes participant aux essais, aucune enquête ne fut menée pour déterminer si la pilule était à l’origine de la mort de ces jeunes femmes. Confiants dans le fait que la pilule était fiable, G.Pincus et J.Rock ne firent rien pour établir la cause des effets secondaires.  
Quelques années plus tard, l’équipe de G.Pincus aurait été accusée de supercherie, de colonialisme et d’avoir exploité des femmes de couleur et pauvres. Ces femmes avaient juste étaient informées qu’elles prenaient une pilule qui empêchait de tomber enceinte, mais pas qu’il s’agissait d’essais cliniques et que la pilule était encore expérimentale ou même qu’il y avait un risque potentiel d’effets secondaires dangereux. G.Pincus et J.Rock; par contre, croyaient qu’ils respectaient parfaitement les standards éthiques de l’époque. Dans les années 1950, les recherches impliquant des humains étaient beaucoup moins strictes qu’aujourd’hui. 
G.Pincus organisa aussi, en complément, des essais intégraux à Haïti et à Mexico. Pendant l’été 1955, une étape importante fut franchie dans l’histoire de la pilule, la FDA autorisa l’utilisation d’Enovid pour traiter des cas de troubles menstruels assez sévères, en exigeant que la notice du médicament avertisse que le produit inhibait l’ovulation. 
Seulement deux ans après, un grand nombre de femmes développa mystérieusement des troubles menstruels sévères et demandèrent à leurs docteurs de leur prescrire le fameux médicament. A la fin de l’année 1959, plus d’un demi million de femmes prenaient Enovid, sûrement davantage pour son effet contraceptif qu’autre chose. 
 
L’approbation de la Food and Drug Administration : 
Bien que les essais cliniques de Porto Rico, pour obtenir l'autorisation de la FDA pour l’utilisation d’Enovid comme contraceptif oral, furent les plus importants jamais menés, 897 femmes avaient pris la pilule pendant 10427 cycles. 
La principale difficulté à surmonter pour obtenir l’approbation était de montrer que le médicament était sans risques. L’efficacité, par contre, n’était pas nécessaire. Comme la FDA avait déjà autorisé Enovid pour les troubles menstruels, G.D.Searle pensait que l’application en tant que contraceptif viendrait d’elle-même. Mais la compagnie et les chercheurs furent rapidement déçus. 
La FDA maintint sa position pendant des mois. La sécurité du médicament n’était pas le problème qui empêchait le plus la procédure, c’était la nature révolutionnaire de la pilule. Les contraceptifs oraux seraient en effet le premier « médicament » dont le but ne serait pas de guérir. A la place, la pilule serait ordonnée à des femmes en bonne santé sur une longue période et dans un but social. Et la FDA ne se sentait pas à l’aise avec ce concept.  
J.Rock, qui avait maintenant 70 ans, n’allait pas laisser les choses se passer sans rien faire. Prenant l’affaire en main, il réclama une audience avec l’agence. De plus G.D.Searle avait fait 37 millions de dollars de recettes par an, en commercialisant la pilule pour ses aspects thérapeutiques uniquement. La compagnie comprit alors qu’il existait probablement un marché gigantesque pour les contraceptifs oraux, et c’est aussi pourquoi la société décida de supporter J.Rock et de l’aider. J.Rock et le directeur médical de G.D.Searle se rendirent alors à Washington pour faire face au gouvernement des États-Unis. Ils finirent pas rencontrer un fonctionnaire, DeFelice, de 35 ans et tout juste diplômé de l’école de médecine. 
J.Rock ne pouvait pas croire que la FDA pouvait placer le destin de la pilule entre de si jeunes mains. Après avoir exprimé les inquiétudes de la FDA des possibles liens entre la pilule et le cancer, DeFelice détailla toutes les objections morales et religieuses attribuées à la pilule. J.Rock était furieux, mais DeFelice resta sur sa position et annonça que l’audience était terminée. 
J.Rock et G.D.Searle n’entendirent parler de la FDA que cinq mois après. Cette agence était d’accord pour l’utilisation d’Enovid sur de courtes périodes et pour des motifs thérapeutiques, mais elle restait inquiète à propos de l’utilisation à long terme pour un but contraceptif.  
Finalement, la FDA évita la question de la sécurité à long terme et approuva enfin, le 11 mai 1960 l’usage d’Enovid comme contraceptif pour moins de deux ans à la fois. La célèbre journaliste Clare Boothe Luce se fit l’écho de beaucoup de femmes quand elle déclara « La femme moderne est enfin libre comme un homme, libre de disposer de son propre corps ». 
Peu à peu, dans les années 1960, l’industrie pharmaceutique découvrit l’immense potentiel du marché pour la contraception, et environ treize compagnie importantes , dont neuf américaines, développèrent la pilule et investirent dans des recherches pour le développement de nouveaux contraceptifs et de leur propre version de la pilule. 
En 1963, 2.3 millions d’Américaines prenaient la pilule. 
 
On peut dire que l’invention de la pilule s‘est faite relativement rapidement à partir du moment où elle a été véritablement lancée, malgré les difficultés rencontrées. L’invention a parfois emprunté des chemins dérivés pour éviter ces difficultés, avec des épisodes parfois controversés, tel que les essais de Porto Rico.  
Disposant des soutiens nécessaires, l’invention de la pilule sera à l’origine d’une véritable révolution, et favorisera l’évolution des mœurs. On peut le dire, c’est l’une des rares inventions scientifiques qui eu un tel effet sur la société, et qu’on est pas prés d’oublier.

(c) Caroline Manet - Créé à l'aide de Populus.
Modifié en dernier lieu le 12.01.2005
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