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La pilule, 40 ans de liberté au féminin 
 
 
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2) Les réactions face à la pilule

La réaction du Vatican : 
En juillet 1965, 61% des Catholiques Américains pensaient que leur Église autoriserait les contraceptifs oraux. Ils étaient surtout optimistes car la pilule était sur le marché depuis cinq ans aux États-Unis, et elle n’avait pas été bannie par le Pape. 
Au milieu des années 1960, l’un des arguments les plus utilisés en faveur de la pilule parmi les Catholiques était que la pilule devrait être acceptée par l’Église Catholique comme une variante de la méthode Ogino. Le docteur J.Rock était assez confiant à ce sujet, et pensait que le Vatican finirait par accepter que les femmes utilisent la pilule en tant que contraception. 
Malheureusement, ils se trompaient tous. Le 25 juillet 1968 au matin, le Vatican annonça une conférence de presse pour annoncer sa décision en ce qui concerne la pilule. Le Pape Paul VI délivra son encyclique Humanae Vitae dans laquelle il réaffirma sa position et classa la pilule comme une méthode contraceptive artificielle. C’est à dire qu’utiliser la pilule contraceptive, ou tout autre contraceptif , ne serait pas moins qu’un pêché mortel. 
En plus de condamner l’avortement et la stérilisation, le Pape souligna le fait que la pilule séparaient l’acte sexuel de la procréation. Beaucoup furent déçus, notamment J.Rock qui déclara « la hiérarchie a fait une autre terrible erreur ». 
Des mouvements de protestations se mirent en place aux Etats-Unis, à l’université catholique de Washington, deux milles manifestants, pour beaucoup des prêtres et des nonnes, s’étaient rassemblés pour montrer leur mécontentement. Et un certain nombre de prêtres allèrent jusqu’à démissionner en réponse à la décision du Vatican. 
Deux ans après cette encyclique, pratiquement autant de femmes catholique prenaient la pilule que les non-catholiques, aux États-Unis. Aujourd’hui, l’encyclique Humanae Vitae définit toujours les positions de l’Église en matière de régulation des naissances et beaucoup pensent que c’est ce qui a favorisé le déclin de l’autorité du Vatican ces dernières décennies. 
 
La « révolution sexuelle » (aux États-Unis) : 
Comme le mouvement féministe évoluait dans les années 1960 aux États-Unis, les femmes commencèrent à entrer dans le monde de la politique et du travail, et elles commencèrent aussi à remettre en question les rôles sexuels traditionnels.  
L’idée principale de cette révolution, radicale à cette époque, était de dire que les femmes, comme les hommes, appréciaient le sexe et avaient des besoins sexuels. Pour les féministes, la révolution sexuelle signifiait une prise de pouvoir des femmes sur la sexualité. Pour les conservateurs, la révolution sexuelle était une invitation à la promiscuité et un danger pour les fondations de la société américaine, en particulier la famille. Ces deux groupes de personnes s’opposèrent rapidement et la pilule fut introduite dans le débat. 
Comme la sexualité des femmes avant le mariage devint évidente, la pilule fut vite considérée comme un bouc émissaire parmi les conservateurs. Beaucoup affirmaient que la pilule était à l’origine de cette révolution, car elle permettait alors de séparer l’acte sexuel de la procréation. Ce que les conservateurs redoutaient le plus était que les femmes célibataires et les femmes mariées pouvaient faire l’amour quand elles voulaient et où elles voulaient et avec n’importe qui sans risque de grossesse.  
Même s’il était acceptable pour les hommes célibataires d’avoir des relations sexuelles, l’idée que les jeunes femmes puissent en faire autant a beaucoup dérangé aux États-Unis. En 1968, dans l’article Reader’s Digest, Pearl Buck, l’auteur, écrivait: « Tout le monde sait ce qu’est la pilule. C’est un petit objet— et pourtant son effet potentiel sur notre société pourrait être encore plus dévastateur que la bombe nucléaire ». 
Cependant, des études montrèrent que les femmes non-mariées avaient des relations sexuelles bien avant l’invention de la pilule. Elles utilisaient simplement des moyens contraceptifs bien moins efficaces. Avec la pilule, les femmes pouvaient adopter le même comportement, mais avec un risque beaucoup moins grand de tomber enceinte.  
Même si les conservateurs pensaient que la pilule avait déclenché la révolution sexuelle et ces changements dans la société américaine, les historiens pensent que ce n’est pas la pilule qui l’a déclenchée, mais que les deux événements se sont rencontrés. 
 
Témoignages (États-Unis) : 
Avant la pilule: 
Sylvia Clark: « Dans les années 1950, on était supposées ne pas avoir accès aux contrôle des naissances avant le mariage, et puis soudainement toutes les règles ont changé et c’était possible. Une femme était supposée passer d’un célibat absolu à une soudaine et merveilleuse sexualité avec son mari. C’était supposé se passer du jour au lendemain, comme par magie. Et on parlait de ça. Pour être juste, la même chose était attendue des hommes sauf que l’expérience leur était autorisée. » 
« Le fait que les femmes disposaient d’une méthode qui leur permettait de ne pas tomber enceinte et de pouvoir prendre des décisions eut un profond impact sur la façon dont on a commencé à envisager toutes sortes de choses, comme être dans la mesure de continuer une carrière sans la peut d’une interruption. En fait, je me rappelle clairement avoir cherché un travail quand mes enfants étaient âgés de un et deux ans, et c’était avant la pilule, et je me rappelle qu’on m’a demandé au téléphone avant même d’avoir eu un entretien si j’avais des enfants et quel âge avaient-ils. Et quand j’ai répondu oui, ils ont un et deux ans, ils ont raccroché. Donc le fait que maintenant avec la pilule je pouvais répondre oui, j’ai des enfants qui ont trois et quatre ans, tout d’un coup c’était différent car les gens savaient, les employeurs savaient que les femmes pouvaient maintenant être des employées fiables et qu’il n’y aurait plus d’absentéisme à cause des enfants. » 
Après la pilule: 
Anita Fream: « Cela signifiait que l’on pouvait prendre nos propres décisions sans avoir à penser constamment est-ce que cela va changer ma vie? Ca séparait le sexe de tous ces dangereux aspects. C’était vraiment une innovation stupéfiante. » 
Richard Hauskenecht: « C’était la liberté sexuelle. C’était le début, ça a changé la façon dont on fonctionnait en tant que couple. Je pense que ça a aussi changé la vie de millions d’autres personnes. Et ça a changé les relations entre hommes et femmes. Cela permettait aux femmes d’avoir les moyens de se protéger là où elles ne dépendaient pas d’un homme, un préservatif, ou un diaphragme qui habituellement ne fonctionnaient pas très bien. » 
Joan McCracken: « A cette époque, les sortes de contraception se limitaient aux préservatifs et aux diaphragmes. Et les préservatifs n’étaient pas une méthode acceptable, pour plusieurs raisons. C’était la méthode de la classe populaire. Ce n’était pas une méthode saine. Et une fois qu’on avait le contrat de mariage en mains, on n’avait plus qu’à aller chez le médecin pour obtenir un diaphragme.» 
 
Le Planning Familial : 
C’est le docteur Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé qui en fut la principale instigatrice, après un voyage aux États-Unis où elle eu l’occasion de visiter les cliniques de birth control. Son idée était de « satisfaire aux veux du couple en ce qui concerne les problèmes de la naissance, du couple lui-même et de la famille ; c'est-à-dire la fécondité, la stérilité, la conception, la maîtrise de la procréation, l'acceptation d'une grossesse en cours ». Ce projet, elle lui donna le titre de « Maternité Heureuse », volonté de respecter la vocation de la femme et désir de la débarrasser des drames physiques et sociaux qui la blessent. La communication de Dr Lagroua Weill-Hallé à l'Institut de France en mars 1955 sur la Maternité volontaire eut un grand retentissement et constitua le départ d'une campagne qui aboutit l'année suivante à la fondation de Maternité Heureuse.  
Il regroupait des femmes appartenant à différents courants ; franc-maçonnerie, courants issus du protestantisme et d’un catholicisme humaniste, femmes du monde littéraire, communistes en désaccord avec leur direction politique et des médecins. Le mouvement était loin des théories néomalthusiennes. Le rapport moral de la première assemblée générale en 1957 définit ainsi les objectifs: « lutter contre les avortements clandestins, assurer l’équilibre psychologique du couple, améliorer la santé des mères et des enfants ». Les membres de cette société annoncèrent aussi leur philosophie profonde, la séparation de la sexualité et de la procréation. Ils « affirment le désir de liberté ressenti par les femmes et les hommes qui souhaitent pouvoir décider d'avoir ou non des enfants tout en jouissant de la vie sexuelle indispensable, base de l'union des couples ».  
En 1958, le mouvement s’affilie à l’International Planned Parenhood Federation puis devient en 1960 le Mouvement Français pour le Planning Familial (MFPF). L’opinion publique était de plus en plus favorable aux arguments du contrôle des naissances.  
La presse écrite joua un rôle considérable dans la diffusion de ces idées, comme les articles d’un journaliste communiste Jacques Derogy puis son livre Des enfants malgré nous paraissent en 1956. A Grenoble, s’appuyant sur des arguments juridiques démontrant que la loi de 1920 interdit la propagande anticonceptionnelle mais non la prescription et l’usage des contraceptifs, le Dr Henri Fabre avec un groupe de militants décida d’ouvrir le premier centre d’information et de prescription contraceptive en juin 1961. Il rencontra dans les médias un accueil très favorable mais se heurta à des difficultés pratiques pour l’approvisionnement des contraceptifs dont l’importation est interdite par la loi de 1923 . Excepté les médecins favorables à la diffusion de la contraception (120 médecins créèrent en 1962 le « collège médical » du MFPF), le corps médical reste globalement hostile à la diffusion des contraceptifs et le Conseil de l’Ordre écrit en 1962 que « le médecin n’a aucun rôle à jouer et aucune responsabilité à assumer dans l’appréciation des moyens anticonceptionnels, dans les conseils au public, ou les démonstrations relatives à ces moyens ».  
Pourtant, de plus en plus de femmes adhéraient au MFPF, en janvier 1963 il comptait 16000 adhérents, et la fréquentation croissante des centres, qui se créèrent un peu partout, montrait le réel besoins des couples et l’inadéquation des lois. Le MFPF commença à diffuser pilule et stérilet . Certains médecins multiplièrent des articles sur le sujet sans toutefois être reconnu par leurs collègues et il faudra attendre 1966 pour que le Conseil de l’Ordre admette que « le médecin n’a pas à s’en désintéresser [de la contraception] s’il veut la pleine santé et l’épanouissement des familles dont il est médicalement responsable ».  
Le MFPF avait réussi à souligner que la libération de la femme passait par la maîtrise de sa sexualité, que la femme n’était plus soumise à son rôle essentialiste de mère, et qu’elle pouvait se tourner vers des ambitions plus personnelles, comme la recherche d’un travail… Il introduisit aussi cette nouvelle conception de la sexualité qui affichait les notions de volonté, désir et plaisir. 
 
Un net changement : 
Dans les années 1970, l’action du MFPF divergea vers de multiples directions. D’une part, l’information contraceptive et l’éducation sexuelle, qui étaient inscrites dans les textes mais n’étaient pas appliquées à l’époque, et d’autre part la médicalisation de la contraception par le collège des médecins du MFPF, qui édita en 1968 le premier numéro de la revue Fertilité. Les « hôtesses » qui faisaient bénévolement l’essentiel du travail d’information sur le terrain demandèrent le titre d’assistante-conseillère-animatrice (ACA) puis un statut et une rémunération. Mai 1968 va permettre aux militantes de revendiquer une plus grande autonomie vis-à-vis de la hiérarchie du MFPF (collège des médecins et collège des cadres) et la mise en place d’un travail plus collectif. En 1972, le collège des hôtesses s’organisa. Les militantes les plus féministes du MFPF étaient alors majoritaires et la rupture avec les dirigeants jugés réformistes était inéluctable. Elle eut lieu lors du congrès du MFPF en juin 1973, sur la bataille de l’avortement. Ne pas pouvoir répondre aux femmes qui venaient exprimer leurs difficultés face à des grossesses non désirées, avec comme seul recours l’avortement clandestin, les amenèrent à radicaliser leur position et à revendiquer plus ouvertement le droit à l’avortement surtout.  
Le MFPF se réorganisa avec des objectifs beaucoup plus féministes: « la libéralisation de l’avortement et contre toutes les formes d’oppression sexuelle ». 
C’est dans ce contexte que va se créer le Mouvement de libération des femmes (MLF). 
 
MLF et MLAC : 
Les mouvements féministes vont changer après Mai-68, le militantisme trouva un nouvel essor, et les féministes renouvelèrent les formes du mouvement, redécouvrant l’action directe. Les femmes, influencées par les analyses marxistes placèrent tout de suite les hommes du côté des oppresseurs, et elles dénoncèrent le patriarcat, qui exploitait les femmes comme le patronat le faisait avec les travailleurs. Le MLF restera donc fermé aux hommes. 
En parallèle, le Mouvement de Libération de l’Avortement et de la Contraception (MLAC) se mit en place. Ce mouvement avec le Planning Familial était plus mixte et luttaient pour faire abroger la loi de 1920 et faire entrer la contraception et l’avortement dans les mœurs. Fondé en avril 1973, le MLAC répondait aux difficultés rencontrées par les femmes désirant avorter. Le but premier de l’association était de rencontrer les femmes dans les permanences et les aider à avorter en organisant leur voyage vers l’Angleterre et la Hollande ou en réalisant leur avortement sur place le cas échéant. Cependant le MLAC exerçait également une activité de promotion et de lutte pour l’avortement par l’organisation de campagnes, de manifestations. Quand la loi Veil fut adoptée, le MLAC n’ayant plus de raison d’être disparut progressivement. 
Le MLF, qui était un sigle d’abord inventé par les journaux, n’avait pas de réel statut ou même d’adresse. Le seul repère stable était les amphithéâtres des Beaux-Arts qui accueillaient tous les deux semaines les femmes qui voulaient se joindre au mouvement. Les initiatives fleurirent alors et des groupuscules se formèrent selon les affinités, et la créativité était débordante. Des centaines de tracts, de chansons, de slogans, d’affiches et de photos en étaient le signe. La presse féministe se développa également, Le Torchon brûle montrait l’exemple, il mélangeait les genres et ne disposait d’aucun comité de rédaction. Il ne publia que 6 numéros entre 1971 et 1973 mais il fut tiré à 35000 exemplaires. Menstruel en était un autre exemple.  
Les militantes savaient utiliser l’humour et provoquer les médias. Par exemple, en août 1970, quelques jeunes femmes vinrent déposer une gerbe à la mémoire la femmes encore plus inconnue que le soldat inconnu. Sur les banderoles on pouvait lire « Une femme sur deux est un homme ». 
En avril 1971, Le Monde et Le Nouvel Observateur publièrent le « manifeste des 343 » dans lequel 343 femmes affirmèrent avoir avorté, y figuraient des noms célèbres comme Catherine Deneuve, Simone De Beauvoir ainsi que Gisèle Halimi. A ce moment, la parole se libéra et les militantes mirent au jour les dégâts de l’avortement clandestin, des viols, de l’inceste et aussi du sexisme. En mai 1972, les Journées de dénonciation des crimes contre les femmes eurent lieu à la Mutualité, 4000 participants y étaient regroupés. 
Même si ces différents mouvements féministes n’avaient pas un lien directe avec la pilule contraceptive, la bataille pour que soit légalisée la contraception faisait évidemment parti des enjeux. Et ces mouvements ont d’ailleurs eu beaucoup d’influence sur le gouvernement et la population. 

(c) Caroline Manet - Créé à l'aide de Populus.
Modifié en dernier lieu le 16.01.2005
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